Le 16 juins 1976, la police ouvre le feu sur des milliers de lycéens rassemblés à Soweto pour protester contre la volonté du régime de l’apartheid d’imposer l’afrikaans comme langue d’enseignement. Le premier à tomber est un jeune de 12 ans. Cette mort est considérée comme un abus de trop alors que Nelson Mandela était emprisonné depuis quatorze ans
La bataille de la langue devenait presque centrale
En 1976, la tension se ressent sur toute l’étendue du pays. Le Congrès national africain (ANC), multiplie les actions contre le régime ségrégationniste. Entretemps, le « Black Consciousness Movement » créé par Steve Biko, prend de l’ampleur. En 1971, son leader charismatique affirmait dans un discours prononcé au Cap : « L’arme la plus puissante dans les mains des oppresseurs est la mentalité des opprimés ! » d’après lui, « Pour commencer, il faut que les Blancs réalisent qu’ils sont seulement humains, pas supérieurs. « De même, les Noirs doivent réaliser qu’ils sont aussi humains, pas inférieurs… » Des idées qui avaient imprégné beaucoup de milieux universitaires et lycéens. »
Dans ce contexte, la bataille de la langue était presque centrale. Le pouvoir en place décida ainsi que l’afrikaans serait la langue d’enseignement pour les mathématiques, l’arithmétique et les études sociales. L’anglais serait la langue d’enseignement pour les sciences en général et les sujets pratiques (comme la ferronnerie ou la couture). Les langues autochtones ne seraient utilisées dès lors que pour l’enseignement religieux, la musique et la culture physique ! Pour justifier le décret publié en 1974, le vice-ministre de l’Éducation bantou déclarait : « un homme noir peut avoir à travailler dans une ferme ou dans une usine. Il peut avoir à travailler pour un employeur anglophone ou de langue afrikaans et il doit pouvoir comprendre ses instructions. Pourquoi devrions-nous commencer maintenant à nous quereller à propos de la langue d’enseignement pour les personnes de race noire ? … Non, je ne les ai pas consultées et je ne vais pas les consulter. J’ai consulté la Constitution de la République d’Afrique du Sud ». Mais le décret passe mal dans les townships. Très mal.
Les pancartes et anderoles contre l’apartheid
Le 30 avril 1976, les élèves de l’école Thomas Mofolo junior d’Orlando Ouest, un quartier de Soweto (qui signifie SOuth WEst TOwnship), se mettent en grève en ne se rendant plus en cours. Le mouvement s’étend aux autres établissements de la township. Le 13 juin, un comité constitué, appela à un rassemblement pour le 16 juin.
Ce jour-là, près de 20.000 élèves déterminés brandissaient des banderoles et des pancartes sur lesquelles on pouvait lire des dénonciations sur la politique du premier ministre John Forster, ou célébrant l’Avanie (le nom que les mouvements africanistes donnaient alors à l’Afrique du Sud). Tout va très vite dégénérer. La police et l’armée de l’apartheid présentes tiraient. L’un des premiers à tomber est un gamin de 12 ans, Hector Pieterson. Sur la photo, prise par Sam Nzima, on le voit à l’agonie dans les bras d’un camarade de classe, Mbuyisa Makhubo, et sa propre sœur courant à ses côtés. Pas moins de 575 personnes mortes ce jour.
En 1991, cette journée est dédiée à l’enfant africain par l’Organisation de l’unité africaine (OUA, devenue l’Union Africaine). En Afrique du Sud, elle est considérée comme la Journée de la jeunesse.
L’ Apartheid ébranlé
« J’ai vu un enfant tomber. Sous une pluie de balles je me suis précipité et j’ai réalisé le cliché », se souvient Sam Nzima, qui travaillait alors pour un journal de Johannesburg, The World, auteur de la photo où l’on voit Hector Pieterson dans les bras d’un de ses camarades de classe. « C’était une marche pacifique, on a dit aux enfants de se disperser et ils ont commencé à chanter Nkosi Sikelele (l’hymne des mouvements de libération sud-africains – NDLR). La police avait reçu l’ordre de tirer. » La désapprobation internationale qui a suivi les événements de Soweto (et la répression sanglante dans le reste du pays) a poussé l’ONU à décréter en 1977 un embargo sur les ventes d’armes à destination de l’Afrique du Sud. La révolte de Soweto ébranla l’apartheid et est restée gravée dans la mémoire de l’Afrique du Sud non raciale.
Theunis Swanepoel, le chef de la police qui avait donné l’ordre de tirer, mourut d’une crise cardiaque, en 1998, à l’âge de 71 ans.