Le nom sous lequel elle est connue, Shajar al-Durr (« Arbre de perles »), viendrait de son amour pour les perles. Elle compte parmi les femmes les plus puissantes du début du XIIIe siècle. D’abord esclave, elle devient épouse du roi, puis sultane, fondant ainsi l’une des plus grandes dynasties islamiques d’Égypte.
Shajar al-Durr capturée et réduite en esclavage
Les historiens pensent qu’elle est née dans l’actuelle Arménie, au sein d’une famille de Turcs nomades Kipchak. Ces derniers, surnommés « les blonds » par les chroniqueurs occidentaux, accordaient souvent aux femmes un statut élevé. Le voyageur Ibn Battuta, au XIVe siècle, s’en étonne :
« J’ai été témoin dans ce pays d’une chose remarquable, à savoir le respect dans lequel les femmes sont tenues par elles. »
Dès sa naissance, les Mongols ravageaient l’Asie de l’Ouest, absorbant ou dispersant les tribus kipchaks. Certains tombèrent aux mains des Ayyoubides d’Égypte, qui les achetèrent comme esclaves. Le sultan Al-Malik al-Salih fit venir de nombreux Kipchaks au Caire. Les hommes devinrent mamelouks, serviteurs militaires, tandis que Shajar al-Durr intégra son harem.
L’historien égyptien Al-Makrisi écrit que le sultan :
« L’aimait si désespérément qu’il l’emmena avec lui dans ses guerres, et ne la quittait jamais… »
En 1239, elle donna naissance à un fils, Khalil. Un an plus tard, elle épousa le sultan, ce qui la libéra de l’esclavage. Cependant, leur fils mourut en bas âge et elle ne put avoir d’autre enfant.
La septième croisade et la mort du sultan
Al-Malik al-Salih s’appuyait énormément sur elle. Grâce à ses origines kipchaks, elle mobilisait efficacement les mamelouks pour défendre l’Égypte et étendre l’emprise ayyoubide en Syrie. Son rôle de conseillère militaire, souligné par l’historienne Mona Russell, la distingue encore aujourd’hui. Un chroniqueur syrien la décrit même comme « la femme la plus rusée de son époque ».
En 1249, alors que le sultan faisait campagne en Syrie, il apprend l’arrivée de la septième croisade. Louis IX de France navigue vers l’Égypte avec 1 800 navires et 50 000 hommes. Depuis Le Caire, Shajar al-Durr envoie Fakhr al-Din défendre Damiette. De son côté, elle dirige les mamelouks restés dans la capitale.
Le 6 juin 1249, les croisés débarquent à Damiette. Peu après, le sultan tombe malade et meurt. Sans tarder, Shajar al-Durr convoque les commandants et organise la défense en attendant le retour de l’héritier, Turan Shah, fils du sultan et d’une première épouse.
Pendant près de trois mois, elle gouverne secrètement le sultanat. Malgré la mort de Fakhr al-Din, les troupes parviennent à repousser les croisés. Turan Shah arrive à temps pour achever la victoire et capturer Louis IX.
De régente à sultane
Turan Shah commet rapidement des erreurs. Il se méfie des mamelouks et s’entoure d’hommes venus avec lui de Syrie. Pire, il exige que Shajar al-Durr lui remette les trésors de son père ainsi que ses propres bijoux. Inquiète, elle sollicite la protection des mamelouks. Ces derniers, reconnaissants pour son rôle clé pendant la crise, n’hésitent pas. Détesté par tous, Turan Shah meurt assassiné le 2 mai 1250.
Les mamelouks décident alors de faire de Shajar al-Durr la nouvelle sultane d’Égypte. Un timbre royal est gravé à son nom avec le titre « mère de Khalil ». Le khutba du vendredi la mentionne officiellement.
Dès son accession, elle négocie avec les croisés. Grâce à cet accord, Damiette est restituée et Louis IX libéré contre rançon. Ce traité est conclu avec la reine Marguerite de Provence. Ainsi, la septième croisade s’achève grâce à la diplomatie de deux reines, l’une musulmane et l’autre chrétienne.
Un pouvoir contesté
Cependant, son pouvoir dérange. Le calife de Bagdad, Al-Musta’sim, exprime publiquement son mépris :
« Nous avons entendu dire que vous êtes gouvernés par une femme. Si vous manquez d’hommes en Égypte, dites-le-nous, nous vous en enverrons. »
Face à cette pression, Shajar al-Durr et ses conseillers finissent par céder. Après 80 jours de règne, elle épouse le mamelouk Izz al-Din Aybek et renonce officiellement au trône. Elle exige toutefois qu’Aybek divorce de sa première épouse, Umm ‘Ali. Malgré ce mariage, elle conserve le pouvoir réel pendant sept ans. C’est elle qui signe les décrets, rend la justice et commande l’armée.
En parallèle, elle laisse une empreinte culturelle forte. À la Citadelle, elle organise des spectacles nocturnes mêlant musique et acrobaties aux flambeaux. On lui attribue également la création du mahmal, un palanquin cérémonial menant la caravane du pèlerinage égyptien à La Mecque. Cette tradition perdurera jusqu’au XXe siècle.
La chute de Shajar al-Durr
En 1254, Aybek se lasse de son rôle de simple façade. En 1257, il annonce son intention d’épouser la fille d’un prince influent. Pour Shajar al-Durr, c’est une trahison insupportable. Aybek déménage près des terrains de polo. Peu après, elle l’invite à la Citadelle. Là, ses eunuques l’assassinent.
Elle prétend qu’il est mort dans son sommeil. Toutefois, cette fois, les mamelouks refusent de la couvrir. Capturée, elle est livrée à Umm ‘Ali, l’ex-femme d’Aybek. Cette dernière la fait traîner par les pieds avant de la jeter du haut de la Citadelle.
Ses restes reposent aujourd’hui dans un mausolée somptueux qu’elle avait fait bâtir. Son mihrab, décoré de mosaïques byzantines, arbore un magnifique « arbre de vie » en perles.
Selon le biographe syrien Khayr al-Din al-Zirikli, Shajar al-Durr était une femme « dotée d’une grande intelligence », parfaitement capable de diriger un État. Aujourd’hui encore, elle demeure une figure historique majeure en Égypte.
Les références
- MW Daly, Carl F. Petry, L’histoire de l’Égypte à Cambridge . Cambridge : Cambridge University Press, 1998, vol. 2
- Urbain Vermeulen, L’Égypte et la Syrie aux époques fatimide, ayyoubide et mamelouke . Louvain: Peeters Publishers, 2001
- Glenn E. Perry, L’histoire de l’Égypte . Londres : Greenwood Press, 2004
- M. Russell (Auteur) Creating the New Egyptian Woman: Consumerism, Education, and National Identity 1863-1922 1 octobre 2004